Xaïl

Xaïl ouvrit les yeux avec difficultés et resta quelques instants immobile dans son lit, avant de repousser sa couverture et de sauter sur ses pieds. Aujourd'hui était un jour spécial, la jeune fille allait pour la première fois accompagner son mentor dans son parcours qui traversait plusieurs village, et où la médecin faisait des tournées régulières afin de soigner les gens dans le besoin. La plupart du temps, elle refusait d'être payée, demandant juste un repas ou un peu de pain, car c'était des gens pauvres qu'elle soignait, ceux ayant de l'argent allant chez le médecin du village.

Xaïl s'habilla de sa robe brune rapidement car elle savait que sa mentor, qui se prénommait Eleanora, ne l'attendrait pas éternellement. Elle prit sa besace, y fourra sa flûte, son arc et une miche de pain ainsi que le petit carnet qu'elle emportait partout avec elle et où elle notait tout. Elle attacha son poignard à son mollet avec un petit lacet de cuir puis vérifia qu'il était invisible sous sa robe. Enfin, elle attacha son collier porte-bonheur, prit sa cape et sortit de sa chambre sur la pointe des pieds, ses bottes à la main. Elle ne devait surtout pas réveiller le bébé qui dormait dans la chambre d'à côté, car l'endormir n'avait pas été de tout repos. Il souffrait d'une maladie intestinale qui l'empêchait de manger et il nécessitait des soins constants, ce qui expliquait pourquoi il était dans la maison d'Eleanora. Et si cette dernière entendait pleurer son petit protégé, elle pouvait très bien étrangler son apprentie à main nue. Mais Xaïl craignait surtout une punition plus exotique, par exemple grimper la plus haute montagne de la région pour aller chercher une plante qui ne poussait qu'à une certaine altitude.

Une fois sortie de la maisonnette, elle enfila ses bottes, mit sa besace puis sa cape et courut pour rattraper son mentor qui disparaissait presque au détour du chemin menant au village voisin. Une fois parvenue à la hauteur d'Eleanora, elle souffla un peu mais ne parla pas, ne voulant pas déranger les pensées de la médecin. C'était une femme formidable, un peu bourrue mais avec un grand cœur. C'était d'ailleurs la seule personne de tout le village à avoir accepter la présence de la jeune fille. Les autres villageois ne lui faisait pas confiance et la plupart refusait même que ce soit elle qui les soigne. Alors elle allait en forêt cueillir les herbes nécessaires aux potions qu'elle confectionnait elle-même, elle faisait la nourriture, le ménage, la lessive et surtout, elle apprenait. Chaque soir, Eleanora lui parlait de tous les malades ou blessés qu'elle avait vu dans la journée et des remèdes qu'elle avait utilisés pour les guérir. La jeune fille buvait ses paroles et, une fois seule dans sa chambre, notait tout sur son petit carnet qui lui venait de sa mère, à la suite des herbes médicinales qui étaient déjà indiquées.

Lorsqu'apparut le premier des trois villages qu'elles allaient traverser, Xaïl sentit son excitation monter d'un cran. Sans hésitation, Eleanora se dirigea vers la petite tente dressée sur la place du village. Xaïl entra à sa suite. Tout d'abord, elle ne vit rien, puis ses yeux s'habituèrent à la pénombre et elle découvrit une chaise et une petite table recouverte d'un linge blanc. Eleanora posa délicatement le sac contenant tous les remèdes sur la table et sortit de la tente en ordonnant à son apprentie de ne pas bouger.

La jeune fille enleva sa cape puis sa besace et posa le tout au sol, mais elle n'eut pas le temps de faire autre chose que déjà son mentor revenait, suivie d'un homme portant une table et d'une femme traînant derrière elle une chaise et un drap blanc. Xaïl se dépêcha de l'aider en lui prenant la chaise des mains car la femme était enceinte et semblait sur le point d'accoucher. Après avoir disposé la table, l'homme prit la main de sa femme et tous deux repartirent. Eleanora se tourna alors vers son apprentie.

-Assieds-toi là, dit-elle en désignant la chaise qui venait d'être amenée, et sors tes affaires. N'hésite pas à me demander si tu as un problème ou que tu n'y arrives pas.

-Que je n'arrive pas... A quoi ? demanda la jeune fille, perplexe.

Mais déjà la médecin s'était détournée et invitait les villageois à entrer dans la tente. La première personne fut une femme portant son bébé dans ses bras. Il ne bougeait pas et tremblait de tout son petit corps. Sa mère le déposa sur la table et Eleanora l'ausculta rapidement avec des gestes rodés par l'habitude et que Xaïl connaissait par cœur à force de voir son mentor à l’œuvre Presque malgré elle, tel un automatisme, la jeune fille commença à lister les symptômes et à chercher les maladies correspondantes, ainsi que les remèdes, quand une voix la fit sursauter.

-Bonjour.

Devant elle se tenait un jeune garçon d'une douzaine d'années, ses cheveux châtains en bataille, ses yeux bleus sans cesse en mouvement, accompagné d'une petite fille blonde, les cheveux nattés et des yeux marrons grands ouverts qui semblaient s'émerveiller de tout. Les deux enfants étaient bien peu vêtus pour la saison, lui en chemise légère et pantalon trop court, elle en robe. Xaïl ouvrit la bouche, hésita un instant puis répondit :

-Oui ?

-C'est pour ma petite sœur Elle est malade depuis trois jours.

-La médecin est juste là, répliqua la jeune fille en montrant son mentor. Il faut...

-Elle m'a dit de venir vous voir, la coupa le garçon. Elle a dit que vous étiez médecin vous aussi.

Xaïl faillit rétorquer qu'on était pas médecin à son âge, elle était beaucoup trop jeune. Mais elle se retint et réfléchit un instant. Eleanora la mettait à l'épreuve. Elle l'avait emmené avec elle non pas pour apprendre mais pour mettre en pratique tout ce qu'elle savait déjà. En cinq ans d'apprentissage, elle avait vu beaucoup de maladie et de blessure, elle savait les reconnaître et les soigner, et Eleanora était à côté en cas de problème. Malgré tout, La jeune fille s'inquiéta un peu et se demanda si elle y arriverait. Mais, le garçon s'impatientant, elle se contenta de hocher la tête.

-Grimpe là, toi, dit-elle à la fillette en tapotant la table recouverte d'un drap.

La petite s'exécuta et s'assit bien sagement. Elle avait une frimousse adorable mais les cernes sous ses yeux la vieillissaient. Ses joues, qui devaient autrefois être bien rondes, commençaient à se creuser. Son visage était en train de perdre ses rondeurs enfantines alors que l'enfant n'avait même pas six ans ! Xaïl était révoltée. Elle interrogea le frère :

-Est-ce qu'elle mange à sa faim ?

-Toujours ! lui répondit catégoriquement le garçon en serrant les poings.

A sa réaction, la jeune fille devina qu'il devait sacrifier une partie de ses repas à sa sœur Elle laissa donc tomber le sujet et ausculta la fillette comme l'avait fait son mentor quelques minutes plus tôt. Elle ne détecta rien de particulier, ou du moins rien de grave. Elle continua à questionner le garçon sur les habitudes de la petite fille, les endroits où elle pouvait aller et les produits auxquels elle avait accès. Enfin, elle conclut que c'était une simple toux doublée d'un peu de fièvre. Elle se pencha donc pour prendre les plantes qui guériraient l'enfant dans le sac quand elle aperçut une large coupure en train de s'infecter sur la jambe du garçon. Elle se redressa et demanda calmement :

-Qu'est-ce que vous avez à la jambe ?

Le garçon recula un peu et marmonna vaguement un "Rien" pas très convainquant. Mais Xaïl insista :

-Vous vous êtes fait ça comment ?

-Ça ne vous regarde pas ! rétorqua violemment le garçon. Occupez-vous plutôt de ma sœur !

-Votre sœur, si vous lui donnez une infusion de ces feuilles matin midi et soir, elle sera guérie d'ici une semaine. En revanche, si je ne vous soigne pas, elle n'aura bientôt plus de frère pour la protéger.

Le garçon grommela quelque chose que la jeune fille ne comprit pas. Puis il regarda sa sœur en hésitant Cette dernière prit alors tout doucement la main de son frère et le força à s'asseoir à côté d'elle. Xaïl la remercia d'un sourire et s'occupa de la plaie. Tout d'abord, elle la désinfecta à l'aide d'une préparation qu'elle avait préparée la veille, puis elle tartina généreusement de la crème sur la blessure afin d'accélérer la cicatrisation. Pour finir, elle banda la plaie et vérifia une dernière fois que tout était en ordre. Une fois satisfaite d'elle-même, elle fit descendre la fillette de la table puis aida son frère en lui précisant de ne pas forcer sur sa jambe.

Elle les regarda sortir la main dans la main, fière. Lorsque, en tournant la tête, elle aperçut le sourire d'Eleanora, elle se sentit plus fière encore, si cela était possible.

Le reste de la journée passa à une vitesse folle. Les deux médecins quittèrent le premier village peu avant midi. Elles mangèrent en marchant et en silence. Xaïl ne se faisait pas d'illusions, Eleanora n'avait jamais été bavarde. Mais le regard que la médecin posait désormais sur son apprentie valait mille mots. La jeune fille savait que son mentor était fière d'elle, cela lui suffisait.

Elles arrivèrent au deuxième village où elles furent accueillies aussi chaleureusement que dans le premier. Les patients défilèrent, les heures filèrent. Elles partirent du second village en milieu d'après-midi et arrivèrent au dernier village peu de temps après. Là encore, elles durent soigner beaucoup de monde. Petit à petit, Xaïl se rendait compte de la pauvreté des gens, et elle prenait aussi conscience à quel point sa vision du monde était erronée. Parce qu'elle venait d'un village relativement riche, elle pensait que tout le monde avait de l'argent, ce qui était loin d'être le cas. Ils étaient même tellement pauvres que la plupart d'entre eux n'allait chez le médecin que lorsqu'Eleanora passait, c'est-à-dire une fois toutes les trois semaines.

Les deux femmes ne prirent le chemin du retour que bien après le coucher du soleil. Elles marchaient en silence, comme toujours. Mais, cette fois-ci, Xaïl sentait la fatigue peser sur elles. Soudainement, la jeune fille voulut savoir pourquoi Eleanora ne parlait jamais. Elle ouvrit la bouche pour le lui demander, puis elle la referma et réfléchit. C'était exactement pour ça que son mentor ne parlait pas. Le silence l'incitait à réfléchir d'avantage, à se questionner elle-même, à chercher les réponses toute seule. L'apprentie sourit à la médecin qui, ayant suivi les pensées de la jeune fille, lui sourit à son tour.

Enfin, au milieu de la nuit, les deux femmes arrivèrent chez elles. Xaïl ne se rappela même pas comment elle était parvenue jusqu'à son lit. Peut-être était Eleanora qui l'avait portée... Ou bien, explication plus plausible, elle avait redressé la tête, refusant de montrer sa fatigue à son mentor, et elle s'était ensuite effondrée sur son lit. Elle n'eut même pas le courage de faire quoi que ce soit après. Toute habillée, elle s'endormit en fermant les yeux.